Vaughan Williams, Britten & Tchaikovsky

Dans l’imaginaire collectif, le mot « Orchestre » est souvent associé à l’orchestre symphonique, avec ses instruments à cordes, à vent, ses percussions, le tout dans les combinaisons les plus diverses. Et quelle que soit la beauté de ce dernier, quel que soit son caractère imposant, on oublie parfois qu’un orchestre peut avoir une autre composition, être aussi beau et impressionnant, comme c’est le cas notamment des orchestre d’harmonie de l’époque de Beethoven, des orchestres de percussions du 20e siècle et des orchestres à cordes de la période comprise entre 1860 et 1940. Des compositeurs convaincus ont en effet parfois déclaré qu’une certaine œuvre pour orchestre à cordes était en réalité leur meilleure œuvre. Et c’est une raison suffisamment importante pour qu’Anima Eterna décide de consacrer un programme entier à des œuvres pour cette formation !

Si Ralph Vaughan-Williams est très populaire en Angleterre, il est moins connu ailleurs. Sa « Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis » est toutefois partout très appréciée. En 1906, Vaughan-Williams a travaillé à l’élaboration d’un ouvrage intitulé « The English Hymnal » et a rassemblé dans ce cadre toutes sortes de chants anciens. Il est alors tombé sur un thème de « The Father of Music » de Thomas Tallis, extrait d’un Psautier de 1567. Il s’est senti très attiré par la modalité spéciale, l’atmosphère antique et le lyrisme dramatique mais réservé de cette pièce. Il a alors conçu le projet de créer une œuvre grandiose qui pourrait refléter ces différentes qualités. Il connaissait également Tallis pour son motet à 40 voix « Spem in allum », ses harmonies osées, et son art de jouer avec l’acoustique d’une cathédrale (anglaise). C’est ainsi qu’a vu le jour en 1910 sa « Fantaisie », composée pour le Three Choir Festival et donnée à la cathédrale de Gloucester. Il y a évoqué Tallis grâce à une polyphonie monumentale, pensée pour un quatuor solo, un orchestre en écho et un grand orchestre, le tout pour des instruments de la famille des cordes. Se font entendre des passages polyphoniques, des blocs d’accords massifs, des dialogues antiphonaux, et des solos isolés : l’intimité dialogue ici avec la grandeur ! 

Benjamin Britten est également une sommité britannique. Nous l’avons intégré à ce programme par le biais de sa « Simple Symphonie », une œuvre de jeunesse composée à l’âge de 21 ans, pour laquelle il a repris des éléments de pièces pour piano encore plus anciennes : on entend donc là des thèmes élaborés par un garçon de 11 et 13 ans ! Son opus 4 donne néanmoins l’impression d’être une œuvre d’une période plus mûre ! Les quatre mouvements sont basés sur d’anciennes formes musicales, comme la Bourrée et la Sarabande, mais qui se voient insuffler une nouvelle vie grâce à une harmonie riche et des intervalles audacieux. 

On connaît beaucoup de choses sur la vie et l’œuvre de Tchaïkovski et ce compositeur a été l’objet de nombreuses publications. On connaît toutefois moins son admiration pour Mozart. Tchaïkovski a découvert Mozart à l’âge de dix ans, à l’occasion d’une exécution de Don Giovanni. Il a été enchanté, tant par la musique que par le contenu dramatique de l’œuvre. Tchaïkovski a composé sa « Sérénade » à l’âge de 40 ans. Il la considérait comme un signe de sa vénération pour Mozart mais aussi comme sa meilleure œuvre ! (« J’aime cette Sérénade à la folie« .) Il n’est tombé ici ni dans l’épigonisme ni dans le pastiche. Il a porté sur son modèle un regard très personnel et a laissé l’orchestre s’épanouir sous toutes ses facettes. Sa fascination pour la musique populaire et la campagne ont joué également un rôle important. Il est remarquable de voir que cette œuvre d’un compositeur que l’on qualifie de tragique a été exclusivement composée en majeur ! Les biographies nous content-elles réellement la vérité ? Il a pourtant écrit à propos de cette « Sérénade » qu’il l’a composée par « profonde nécessité » ! Ses citations de deux chansons populaires extraites d’un recueil de Balakirev complètent le programme : Il s’agit de trois magnifiques œuvres « modernes » basées sur l’héritage.

Cet héritage est également nourri par le fait que les instrumentistes pour ce programme utilisent des cordes pour lesquelles les trois compositeurs ont composé : des cordes en boyau. L’éclat chaleureux de ces cordes peut continuer de traduire l’affect que les auteurs ont cherché à exprimer lors de la composition de cette merveilleuse musique, et touche l’âme de cette dernière tellement plus justement que les cordes plus récentes en métal. De plus, l’utilisation d’un vibrato dosé voire même un jeu sans vibrato permet de faire sonner la corde en boyau dans toute sa richesse.

Jos van Immerseel

Trad. Clémonce Comte

Photos:
Concert enregistré à Concertgebouw Brugge, 3 Avril 2009: